I La célébration de la grande Déesse, première apparition


Le Devi Mahatmya est intégré au Markandeya Purana, chapitres 81 à 93, et se construit jusqu’au XIII siècle. Le récit de type "mahatmya" est un texte en vers et en sanscrit, décrivant la majesté, la magnanimité et la spiritualité d’une personne ou d’une divinité, ce qui signifie bien plus que le terme de "célébration".

La célébration de la grande Déesse est découpée en trois récits de douze chants qui narrent ses victoires contre le Mal.

Dans le premier chant, Markandeya raconte à un de ses disciples qu'un ermite avait narré l'histoire de la Déesse au roi Suratha et à un marchand appelé Samadhi. Au treizième chant, il réussit à ouvrir les yeux des deux personnages. Cette technique de récit en tiroirs est typique de la littérature indienne et de la structure des contes.

Le premier chant est une introduction à l’histoire qui nous met en présence de deux personnes, le roi détrôné Suratha et le bourgeois spolié Samadhi. Leurs proches les ont dépossédés de toutes richesses d’une façon malhonnête. Mais loin de leur en tenir rigueur, ils s’inquiètent encore pour le devenir de leur famille.
Ils s’étonnent eux-mêmes beaucoup de cette capacité à vouloir aider ceux qui leur ont fait du tord, comme l’oiseau qui nourrit un autre petit, un coucou faisant deux fois sa taille, parce qu’il est dans son nid, au risque de mourir d’épuisement.

Quelle est donc cette force, cet attachement qui opère en eux, presque malgré eux?

Ils décident d’interroger un grand sage et ermite. Le sage leur répond que cette force est l’expression de l’activité universelle d’une Déesse multiple et complexe: Mahamaya, le grande Illusion, qui a créé le monde dans lequel nous vivons. Par elle, nous sommes attachés à ce monde et par elle nous nous réincarnons. Mais elle est aussi la Sagesse, le But et le Chemin qui nous permettent d’atteindre la libération (moksha).



Le sage leur narre alors la création de la Déesse, (vers 67 à 72) par la concentration de la pensée de Brahma:
A la fin du cycle précédant, l’univers n’est plus que de l’eau et Vishnou dort sur le serpent Shesha de son sommeil de yoga. Au moment où Brahma s’apprête à recréer l’univers, il aperçoit deux démons, deux Asusras du nom de Madhu et Kaïtabha, nés de la graisse des oreilles de Vishnou. Ils sont prêts à dévorer Vishnou afin d’empêcher le monde de venir à l’existence.
Comme Brahma ne peut pas les combattre, il lui faut donc réveiller Vishnou. Pour cela, il chante les louanges de la Déesse qui maintient le cycle des transmigration, Mahamaya (1-53), et qui réside dans l’œil de Vishnou en tant que "Sommeil de Yoga", Yoga Nidra (1-54).

À l’appel de Brahma, la Déesse qi invoque la Déesse sort du corps du dieu Vishnou. Elle est Nidra. (1-71)
Voici le début des louanges que
Brahma
chante pour éveiller la Déesse:
1-72

Tvam svaha tvam svadha tvam hi
Vasat karah svara atmika
Sugha tvam aksare nitye
Tridhamatra atmika sthita.

Tu es Svaha tu es Svadha, Tu es l’appel,
Puisque tu es le Verbe même, nectar des Dieux
Tu es l’impérissable, l’éternelle,
La syllabe AUM aux trois constituants.
1-73

Ardha mathra sthita nitya
Yaan uccarya visesatah,
Tvam eva sa tvam savitri
Tvam deva janani para

Tu es l’essence éternelle du son que l’on ne peut prononcer
Car il est inarticulable
C’est toi l’Incitatrice, toi la Mère des dieux,
La Déesse suprême.
1-74

Tvaya etad dharyate visam
Tvaya etat sriyate jagat
Tvaya etat palyate devi
Tvam atsy ante ca sarvada.

Par toi le monde fut créé
C’est toi qui le soutiens,
C’est toi qui le protège,
Et c’est toi qui le manges,
à la fin éternellement.
1-75

Vishrtau shriti rupa tvam
Sthiti rupa ca palane
Tatha etat samshriti rupa ante
Jagato 'sya jagan maye.

Lors de la Création
Tu prends la fome créatrice,
Et quand il faut garder le monde,
Ta forme est celle de la vie. Quand vient la fin,
On te voit comme Destruction. Et pourtant tu t'identifies à l'univers!
1-76

Maha vidya, maha maya
Maha medha maha smirtih,
Maha moha ca bhavati
Maha devi maha asuri.

Connaissance, Grande Illusion,
Sagesse et Tradition,
Tu es aussi l'égarement A la fois Déesse et Démone.
1-77

Prakritis tvam ca sarvasya
Guna traya vibhavini,
Kala retrir maha ratrir
Moha ratrish ca daruna.

Toi la Nature,
Par qui les éléments s'ordonnent,
Tu es la Nuit des Temps, la Grande Nuit
L'épouvantable Nuit de l'Egarement.
1-78

Tvam shri tvam ishvari tvam hri
Tvam, buddhir bodha lakshana
Lajja pushtir tatha tushtih
Tvam zanti, kshanti eva ca.

Tu es Splendeur, Tu es la Souveraine, la Modestie
Tu es l'Intelligence, l’Éveil est ta parure,
Modestie, Prospérité, une telle Satisfaction!
Tu es l'Apaisement, la Patience, tels sont aussi tes noms!
1-79

Dès le premier chant, la Déesse reçoit tous les noms et attributs que l’on découvrira tout le long des récits. Elle possède toutes les fonctions cosmiques: créé le monde, le maintient, l’organise et à la fin le dissout. Ces qualités ne sont pas sans rappeler celles de Shri Ganesha dans l’Atharva Shirsha, ou les caractéristiques du AUM. Les trois constituants étant les trois canaux, les trois boucles du AUM, et le son inarticulable, ardha mathra , le croissant.

Vishnou se dresse sur sa couche et voit les deux démons.(1-91) Il commence alors le combat contre les démons (asuras) Madhu et Kaïbatha. Leur affrontement dure déjà depuis cinq mille ans lorsque la Déesse, en tant que Mahamaya, inspire aux deux démons une idée arrogante, une ruse peu subtile. Ils sont tellement imbus de leur force exceptionnelle, qu'ils défient Vishnou de les tuer "là où un morceau de l’univers émergerait".(1-100,101) C’est oublier que Vishnou lui-même, allongé sur Shesha, forme un îlot sur cet océan d’eau! Il les met donc sur son ventre et les tuent d’un coup de disque. (1-103)

La naissance de la Déesse guerrière avec toutes ses armes:

Lors des deuxième, troisième et quatrième chants, le thème central est la victoire de la Déesse sur le démon Buffle, Mahisa asura.
Il y a longtemps, l’ordre des choses dans l’univers était simple: les devas ou dieux dirigeaient le monde à partir de leur 'Olympe' et les démons restaient dans les ténèbres. Mais les Asuras (démons), après une bataille qui dura cent ans, menés par le démon Buffle Mahisa, viennent de l’emporter sur les trente dieux (selon les Védas, il y en a trente trois, car il faut y ajouter la triade Brahma, Vishnou, Shiva).
Indra, le chef des Devas, est renversé et c’est le pire des démons qui assure le contrôle de l’univers! Les dieux errent maintenant sur Terre à l’instar de pauvres mortels, et à bout de force, ils se résignent à demander l’aide des dieux des Dieux, Vishnou et Shiva (on ne parle pas de Brahma ici).
A cette annonce, Vishnou s’enflamme de colère et Shiva de rage. Du visage de Shiva, Vishnou et Brahma naît alors une grande lumière. Du corps des autres trente dieux, Indra en tête, émerge une lumière très puissante: toutes ces flammes s’unissent pour ne former qu’une seule grande torche illuminant l’univers, de laquelle sort une Déesse:
Sa bouche émanait de la lumière de Shiva
Ses cheveux de celle de Yama
Ses bras de celle de Vishnou
2-14
Sa poitrine de celle de Chandra,
Son ventre de celle d’Indra
Ses jambes de celle de Varuna,
Ses fesses de celle de la Terre
2-15
Ses pieds de celle de Brahma
Ses orteils de celle du Soleil
Ses doigts de celle de Vasu
Son nez de celle de Kubera
2-16
Ses dents de celle de Prajapanti
Ses trois yeux de celle d’Agni (dieu du feu)
2-17
Ses deux sourcils, de celle des deux crépuscules
Ses deux oreilles, de celle de Vayu (dieu du vent)
Ainsi des lumières des divers dieux naquit la Bénéfique
2-18
Les dieux sont sûrs maintenant d’avoir face à eux la future guerrière et championne qui renversera le démon si redoutable. Chacun leur tour, ils vont lui offrir leurs armes de combat, mais aussi des bijoux des perles, des colliers afin qu’elle soit magnifique en plus d’être redoutable:
Ainsi la Déesse fut-elle honorée par les dieux.
D’autres encore lui donnèrent des ornements et des armes:
De joie, elle éclata de rire, recommençant, encore et encore
2-32
Et du bruit violent et répété que cela fit,
L’univers tout entier fut rempli: un fort écho se produisit
2-33
Les mondes vacillèrent, les océans se soulevèrent,
La Terre trembla, les montagnes s’écroulèrent!
2-34
Réjouis, les dieux crièrent:
Victoire à Celle qui monte le lion!
Et les sages chantèrent ses louanges, courbant, par dévotion, leur âme et leur corps.
2-35
La Déesse est d'abord invoquée du nom de Bénéfique (2-18) puis de Grande Illusion, Mahamaya, (1-60). Et maintenant, la Déesse devient l’incarnation de la lumière des tous les dieux. Sous cet aspect, elle n’est qu’énergie. Les dieux lui donnent ensuite leurs armes, donc leurs pouvoirs, (shakti), pour qu'elle puisse canaliser et matérialiser toute cette puissance. Elle est maintenant prête à combattre les démons.
En entendant ce phénomène ébranler l’univers, les Asuras et leur chef Mahisa, se demandent ce qu'il se passe. Et Mahisa voit la Déesse dont les pieds touchent la terre et son front le ciel, dont les milliers de bras atteignent tous les points de l’univers. Immédiatement la bataille s’engage et la Déesse pulvérise l’avant-garde des Asuras: elle prend ainsi le nom de Chandika (2-50).
Le lion, sa monture, fait aussi beaucoup de ravages dans le camp adverse. Puis la Déesse, de son souffle, créé des centaines de troupes. Elle prend alors le nom de Ambika. (2-53)

D’après "La célébration de la grande Déesse ou Devi Mahatmya",
Traduit du sanscrit et commenté par Jean Varenne
Ed.Les belles lettres
Publié par dictionnaire sahaja yoga

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